Pourquoi faire des cartes

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Carte figurative de l’instruction populaire de la France, 1826, Dupin : taux d’élèves masculins scolarisés par département (plus le dégradé est foncé et plus faible est la part d’enfants scolarisés)

La carte figurative de l’instruction populaire sépare la France en deux : dans le nord-est la France « éclairée » s’oppose à la France « obscure » du sud-est selon les commentaires de Dupin lors de la présentation de sa carte au Conservatoire des Arts et Métiers (Paslky 1996). Le message est clair et a nourri tout le long du 19e les représentations politiques et sociales, ce qui fait de la carte un outil au statut particulier dont la lecture a un impact supérieur à celle d’un simple tableau. En contrepartie, la carte en tant qu’objet symbolique est susceptible de porter des présupposés et préjugés, tels que le recours aux couleurs sombres pour refléter « l’obscurantisme ». Il est donc important de se questionner sur le sens que l’on donne à l’information cartographique.

En théorie, toute quantité numérique peut être représentée sous forme d’une carte. En pratique, une carte n’a d’intérêt que si elle illustre la dimension spatiale d’un phénomène socio-économique et qu’elle aide à sa compréhension. Autrement dit, une carte pour être porteuse d’un message pertinent doit être structurée (par exemple opposition nord-sud comme sur la carte de Dupin). La structuration de l’espace résulte des comportements sociaux de l’être humain qui peuvent être formalisés sous la forme de lois géographiques. Ces lois n’ont pas un caractére infaillible et servent principalement à soutenir nos réflexions sur le rôle de l’espace dans la production des comportements sociaux. Cécile Tannier (2017) propose ainsi sa version des lois géographiques que nous reproduisons ci-dessous :

  • Friction de la distance : des éléments proches ont davantage de chance d’être en relation (concentrations et dispersions considérées en tant que processus) ou d’être similaires (concentrations et dispersions considérées en tant qu’états) que des éléments éloignés car la friction de la distance atténue l’influence mutuelle des phénomènes au fur et à mesure.

  • Rôle de l’appartenance à un même milieu : des éléments d’un même milieu ont davantage de chances d’être en relation (ou de se ressembler) que des éléments de milieux différents. Un même milieu peut être autant une même maille administrative (commune, région…), une même nation, les mêmes conditions climatiques, une même langue, un même groupe social…

  • Influence de la taille des entités considérées : des entités de grande taille, ayant une large emprise spatiale ou contenant une quantité importante d’individus, d’activités, d’information…, ont davantage d’influence sur les éléments de leur environnement que des entités de petite taille.

  • Dépendance d’échelles : pour un type donné d’implantations humaines, l’existence d’un processus de concentration considérant un certain voisinage implique un processus de dispersion considérant un voisinage plus large (ou plus retreint).

  • Dépendance dans le temps : chaque phénomène influence sa propre variation dans le temps. Cette loi introduit l’explication « historique » des concentrations et dispersions considérées en tant qu’états (Tobler 1979) ainsi que la dépendance à la trajectoire (path dependency) dans la simulation des processus de concentration et de dispersion.